Textes

ENTRER EN PAYSAGE

Je chemine dans les origines incertaines de la vie sur terre avec cette idée que chaque chose vivante provient d’une chose vivante préexistante. Je fouille le corps paysage à la recherche des traces, des formes et des matières qui se confondent et entrent en correspondances. Ces éléments composent un chaos, au sens d’un espace indéfini et d’un état de ce que l’on ne comprend pas. Car c’est de ce lieu indéterminé que surgissent des apparitions. 

On dit parfois que les grottes sont des passages étroits vers l’immortalité, que l’eau transporte des mémoires, que les animaux croisés seraient des présages. Le paysage n’est jamais seulement un paysage, il porte en lui des croyances, des mémoires, des mythologies, il est toujours investi d’imaginaires. Ces façons de le ressentir et de le raconter me semble se perdre en même temps que l’on épuise la nature et que l’on vide les lieux de leurs substances. En travaillant sur des espaces menacés ma photographie parle de la relation à la disparition et de ce qu’il reste en nous du lien au mystérieux, à la poésie et au temps géologique.


AU MILIEU DU SILENCE

Je cherche toujours cette image à garder. Cette image est liée à une sensation, au bouleversement sensoriel de ce qui a surgi un jour, ici, devant moi. On dit souvent, comme par magie.

Je guette cet état de corps et d’être où enfin nous ne sommes ni plus dehors, ni plus dedans, mais tout entier bien là. En mouvement vers l’inattendu. Là où, on le sait, adviennent parfois des merveilles.

Marcher, jusqu’au bord de. Pour s’approcher de ce qui pourrait ne pas s’arrêter. À s’en amouracher. Puisque la vue n’en finit jamais de s’ouvrir sur une autre. Ça paraît bien sans fin.

Après, le vide est un silence. Les funérailles de l’éphémère forment un creux, les restes sont imprécis, et la mémoire se voile. L’image garde un peu de tout ça.

Entre ce qui s’ouvre et se referme, ça produit comme un mystère, qui se tient là sur un seuil. Cette image que je cherche parle de tout ce qui n’a pas pu se dire, au moment où a surgi la rencontre, de l’autre, du paysage, quand elle a fait taire le temps et ouvert d’autres dimensions.


ÊTRE AU PAYSAGE

La recherche autour du paysage est vaste. Tout comme l’est celle de la nature. Selon la discipline d’étude, le lieu exploré, les angles de vues se multiplient autant que les manières de nommer. Plus j’arpente les paysages plus le sentiment de nature diffère. C’est une sensation intime mais pour les géographes, ces échelles de naturalité existent. Et entre ce qui est accessible ou reculé, transformé ou originel, le paysage ne vibre pas en nous de la même façon.

Les espaces sauvages nous donnent accès à une mémoire. Nappes de charriages, dolines, lapiaz, blocs erratiques, grottes… en montagne ces reliefs façonnent le paysage et inscrivent à la surface l’histoire des formations géologiques. Tout comme en vieille forêt, les variétés d’essences et l’ancienneté des arbres, la présence de bois mort et de micro-habitats, révèlent l’histoire des équilibres écologiques. Dans cette cohabitation de formes et de matières, la biodiversité devient esthétique

Mon approche du paysage est multiple, parfois c’est un corps humain, un espace sacré, une représentation romantique, une réminiscence. Au point de départ, chaque recherche est guidée par ce qu’il se passe physiquement quand on entre en relation avec les paysages. Comment ce dehors entre en nous, nous modifie ? Quelle attention y accordons-nous ? Mes photographies invite à rendre sensible notre présence au paysage pour que les espaces où la nature s’exprime librement perdurent.


TRAVERSER UN CORPS SOLIDE

J’aborde le paysage comme une entrée en relation avec la matière où l’on chemine vers les entrailles de la terre. Je creuse dans le corps paysage une distance qui n’est ni documentaire ni scientifique, mais organique et poétique.

Il y a des traces en surface, des traces sous terre, et une infinité de recoins cachés. Inquiétant ou attirant, le paysage est pour moi le lieu du mystérieux et du magique. L’espace d’où surgissent en permanence des présences. Réelles et imaginaires. À la surface de la terre comme à l’intérieur de la roche je compose des formes parfois jusqu’à la perte de repère. Cette confusion montre le paysage dans l’illisible et le secret. Comme s’il nous emmenait dans un endroit sans bord où les limites d’un début et d’une fin, d’un dedans et d’un dehors auraient disparues.

Une première étape de travail me fait appeler ce projet Traverser un corps solide pour dire ce mouvement qui rencontre, fusionne et s’éloigne.


LIBRE ET SAUVAGE ?

J’ai marché en forêt longtemps sans me soucier, ni du sol, ni du vivant. Je ne savais pas à qui elles appartenaient et ce que l’homme en faisait. Je les imaginais sans clôtures ni frontières, et je pensais alors, à tord qu’elles étaient libres d’évoluer.

Plus j’y ai passé du temps pour les photographier plus j’ai compris que les forêts ne pouvaient pas offrir le même sentiment de nature d’un kilomètre à l’autre. Cette « ambiance » forestière contrastée a été le point de départ de ma recherche sur les forêts en France. Et le début d’un travail photographique au long cours. Des forêts en vie, libres et sauvages ? Est-ce que ça existait encore ? Est ce ça avait existé un jour ?

Les travaux des auteurs Jean-Baptiste Vidalou Être foret, Gaspard d’Allens Main basse sur nos
forêts
, Gilbert Cochet, Stéphane Durand Ré-ensauvageons la France, Edouardo Kohn Comment pensent les forêts, guident – entre autre – mes réflexions. Tout comme les alternatives forestières et les combats citoyens contre les écocides industriels, telles que les actions menées par le collectif Touche pas à ma forêt.

Partout des hommes et des femmes s’attachent à préserver le vivant. À intervenir le moins possible pour laisser vivre. Certaines photographies sont faites avec ces idées, pour que la biodiversité esthétique qui s’offre au regard, dure encore.





charlotte.auricombe@gmail.com +336 87 00 30 65