Tot passa y tot queda

L’intimité géographique et les sensations d’un territoire sont au coeur de mes recherches. Depuis une dizaine d’années je concentre une partie de mes explorations sur une petite péninsule au nord est de la province de Gérone en Catalogne. Entre le golfe du Lion et le golfe de Roses, tombe abruptement sur la meditérranée le cap de Creus. C’est l’extrémité la plus à l’est de toute la chaine de montagne pyrénéenne qui s’enfonce ici dans la mer. Pointe isolée, au caractère très insulaire, cette zone est une limite entre le septentrional et le méridional, entre le littoral et le montagneux. C’est un territoire très particulier où les roches formées il y a des millions d’années se sont modifiées au fil du temps par les fortes pressions de la mer et du vent. Une partie de l’année j’habite ces paysages. Ils me sont tout à la fois familiers et étrangers. Je sillonne un périmètre qui part de la frontière jusqu’au sud du golfe de Roses. Le cap de creus devient le point central de la zone à partir de laquelle je gravite des bords jusqu’à l’intérieur des terres. 

Cau del llop est une histoire qui se déploie en trois chapitres autour de la figure centrale de ma grand-mère. Elle est aujourd’hui âgée de cent-un an. Commencé en 2022, je m’attache au départ à documenter la géographie intime d’une crique. La maison qui la surplombe, et qui sert d’ancrage, est celle de ma grand-mère. Certaines personnes forment avec un lieu une entité et ce paysage méditerranéen lui est associé. C’est un paysage rocailleux, abrupte, sauvage à la géologie millénaire. Plus particulièrement, cette crique Cau del llop – le trou du loup – est un creux au sens géographique : dans l’eau, le sol s’y perd immédiatement. À partir d’une légende sur la présence d’une grotte, je construis un récit où se confondent la surface et les profondeurs avec cette symbolique de l’immersion, de la cavité où l’on se niche, comme dans un ventre. C’est une allégorie de l’enfance, faite d’explorations, de désirs, de peurs et de besoins d’abris. Je la sous titre La cova del infern – la grotte de l’enfer. L’angle puise du coté de l’inconscient. Le paysage devient un refuge.

Dans ce deuxième chapitre, Tot passa y tot queda, tout passe et tout demeure, je reste à la surface pour chercher la présence de la mer dans les terres. Je souhaite documenter ce qui nous lie à elle au delà de la vue, ce qu’elle fait à nos corps, jusqu’où elle s’infiltre par delà les côtes jusque dans nos imaginaires. Le monde marin, végétal, animal et fluide s’éloigne pour laisser place au minéral, au solide et à l’humain. Je guette dans les terres des présences. Elles sont inquiétantes et étranges, soumises aux pressions du lieu, des éléments. C’est un chapitre où plane une menace, des traces et des fantômes. Je souhaite exprimer la façon dont les lieux nous habitent et nous hantent. Ce sentiment menacé parle du passage vers la disparition, de ce qui résiste avec ce qui meurt, d’un moment liminal, c’est à dire qui se tient sur un seuil. Le point de vue adopté ici est plus sensoriel, spirituel, presque sacré. Le paysage devient une métaphore de l’immortalité.



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